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Éloge de l'inutile

Faut-il vraiment une raison pour tout ?

Eva vit au bord de la mer, tout en bas d’une colline en pente douce ou des pommiers sauvages tachètent de rouge les champs à perte de vue qui se jettent, au loin, dans l’océan. Sa petite maison de pierre est posée non loin de la plage ou des vagues paresseuses viennent s’échouer dans un clapotis envoûtant. Des volets bleutés pastel égaient la façade et à l’intérieur des rires d’enfants s’envolent souvent vers le ciel à la tombée du jour. Il y a aussi, volant au-dessus d’elle, dans la clarté magique des journées d’été, des goélands moqueurs décrivant des arabesques magnifiques dans l’azur, et plus loin sur la gauche, par-delà le petit estuaire, des falaises de granit rosé qui plongent, verticales, dans le bleu profond de l’océan. C’est le royaume du Matanuska, ce vent puissant et lourd des embruns océaniques, qui dévale, à perdre haleine, du flanc de ces montagnes du bout du monde.


C’est ici, dans cet Eden paisible, qu’Eva sourit les soirs de bonheur. Et il n’y a aucune petite boite postale jaune aux abords de sa maison. En écrivant à cette femme, je transforme ainsi, jour après jour, une partie du plomb qui est en moi. Et cette encre coulant de mon stylo m’apaise. Enfin, c’est comme ça que je vois les choses. Il faut bien que les petits et grands bonheurs, les malheurs de nos vies servent à quelque chose non ? Et quoi de plus beau, inutile et nécessaire que d’en porter un simple témoignage. Que de les habiller à notre façon d’une réalité différente. Moins insupportable et douloureuse. Qui ressemble à celle que nous fabriquons tous, à la nuit tombée, dans la chaleur de nos rêves, ou le monde, enfin, nous ressemble et nous est si doux.


Et peut-être alors, si ce livre l’a touchée ou émue, décidera-t-elle, pour une rare fois, de prendre à Port-Joseph le vieux bateau de Louis pour parcourir les quelques milles marins qui la séparent du continent et de Saint-Thomas. Avec, aux creux de ses mains une lettre à mon intention. On n’est jamais plus grand que ses rêves…